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  • LA TECHNIQUE
    « Technique » vient du grec technè qui signifie, selon Aristote, « une disposition à produire accompagnée d'une règle vraie » : la technique au sens grec, c'est l'ensemble des règles qu'il faut suivre pour produire un objet donné. Mais la technique moderne peut-elle encore se comprendre ainsi ?

    1. La technique est-elle spécifiquement humaine ?

    Chez l'animal, l'organe et l'outil se confondent : le crabe, par exemple, se sert de ses pinces pour s'enterrer. Même les primates ne fabriquent pas d'outils : un chimpanzé peut se servir d'un bâton pointu qu'il a ramassé, mais il ne saurait le tailler lui-même pour le rendre pointu.

    Dans le Gorgias, Platon fait le récit mythique de la naissance de la technique : l'imprudent Épiméthée n'ayant laissé à l'homme aucun instrument naturel pour se nourrir et se défendre, son frère Prométhée aurait dérobé la technique et le
    feu aux dieux. Entendons par là que la technique comme production d'outils est pour l'homme une nécessité vitale : avec la technique, l'homme devient « homo faber », l'être qui place des outils entre lui et le monde.

    2. Que signifie la définition aristotélicienne de la technique ?

    Selon Aristote, tout objet produit non par la nature, mais par l'homme, est déterminé par quatre causes : la cause matérielle (la matière dans laquelle il est fait), la cause formelle (la forme qu'on va lui donner), la cause finale (ce à quoi l'objet va servir) et la cause efficiente (l'artisan qui travaille l'objet).

    La technique est l'ensemble des règles permettant d'ordonner ces causes dans un art donné : une règle technique nous dit comment travailler telle matière, quelle forme lui donner, si l'on veut en faire tel objet.

    3. Pourquoi la technique est-elle un ensemble de « règles vraies » ?

    Un artisan n'est pas libre de faire ce qu'il veut : on ne fait pas des haches en plomb ou des fers à cheval en bois. Pour produire un objet, il faut ordonner la matière et la forme selon la fonction qu'on veut lui attribuer, en obéissant à ce qu'on appelle les règles de l'art.

    Ces règles ne sont pas laissées au caprice de tel ou tel : elles sont nécessaires et enseignables, c'est-à-dire qu'on peut les transmettre ; en ce sens, on peut dire qu'elles sont « vraies », parce qu'elles ne changent pas et ne peuvent pas être modifiées.

    4. La technique n'est-elle qu'une disposition à produire ?

    Pour comprendre ce qu'est une chose, il faut savoir ou imaginer comment elle a été produite : c'est ce qu'on appelle le « schème artificialiste ». Autrement dit, la technique nous fournit les modèles selon lesquels nous comprenons le monde qui nous entoure : ainsi, nous appliquons sans même nous en rendre compte des schèmes techniques sur la nature afin de la rendre compréhensible ; nous disons qu'un arbre produit des fruits, comme on dit d'un potier qu'il produit des cruches. Cela signifie que la façon dont nous pensons la technique détermine radicalement notre rapport au monde.

    5. La définition aristotélicienne s'applique-t-elle à la technique moderne ?

    Selon Aristote, la technique est l'ensemble des règles définissant les moyens en vue d'une fin. Heidegger montre comment notre modernité ne pense plus la technique comme l'ensemble des règles nécessaires à un art : nous en sommes au contraire venus à ne plus penser les choses qu'en termes techniques.

    La technique n'est donc pas un instrument neutre qu'on peut bien ou mal utiliser, mais un mode de pensée. L'homme ne pense plus qu'à gérer, à calculer et à prévoir : c'est la différence que fait Martin Heidegger entre la pensée méditante et désintéressée, et la pensée calculante qui veut par la technique dominer la nature et l'asservir aux besoins de l'homme.

    Le danger lié à la technique n'est donc pas d'abord celui d'une explosion nucléaire ou d'un conflit planétaire destructeur : le véritable danger, c'est que la technique devienne l'unique mode de pensée, c'est-à-dire la seule façon que nous ayons de penser quelque chose. Car alors, il nous faudra craindre que l'homme se pense lui-même en termes techniques, comme un objet manipulable ou comme une ressource à exploiter de la manière la plus productive possible.
    Or, nous dit Heidegger, cela a déjà eu lieu. La technique n'est plus un projet dont l'homme serait encore le maître : elle est bien plutôt la façon dont l'homme moderne se comprend lui-même et comprend le monde, en sorte que l'homme lui-même est mis au service de la technique, et non l'inverse.

    La citation
    « Supposons maintenant que la technique ne soit pas un simple moyen : quelles chances restent alors à la volonté de s'en rendre maître ? »

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